© Le Parisien, Elisabeth Fleury, le 21 janvier 2014, cet article a d'abord été publié ici.
Au terme de six années d’une très discrète instruction, les juges antiterroristes Marc Trévidic et Nathalie Poux viennent d’épingler sévèrement les méthodes de la Direction de surveillance du territoire (DST, devenue DCRI). Dans une ordonnance de 8 pages rendue le 6 janvier dernier sur une affaire opposant le ministère de la Défense à l’ancien journaliste Guillaume Dasquié, les magistrats mettent en lumière la mécanique d’un "stratagème" destiné à compromettre ce dernier. Leur conclusion est cinglante: "La façon dont la DST a essayé d’identifier la source de Monsieur Guillaume Dasquié pose problème dans ce dossier" écrivent les deux juges.
Enquête sur les ramifications financières de la nébuleuse Al Qaida.
Proche du monde du renseignement, particulièrement intéressé par les ramifications financières de la nébuleuse Al Qaida, Guillaume Dasquié avait publié dans le Monde, le 17 avril 2007, un article choc. Intitulé "11 septembre 2001, les Français en savaient long" étayé par des documents classifiés émanant de la Direction générale de la surveillance extérieure (DGSE) -dont il fournit des facs-similés-, son papier affirme notamment que, plusieurs mois avant l’attentat du World Trade Center, les services de renseignement français avaient parfaitement identifié la menace et les projets terroristes d’Oussama ben Laden.
Saisi d’une plainte du ministère de la Défense, le parquet lance aussitôt une enquête. Objectif : identifier la source du journaliste, coupable à ses yeux d’avoir violé "le secret de la Défense nationale" donc. Dasquié est longuement interrogé, son appartement fouillé, ses affaires saisies. Les enquêteurs y trouvent des documents classifiés estampillés DGSE, ainsi que la trace d’une ancienne relation de travail, Jean-Charles Brisard. Connu du grand public pour avoir représenté les intérêts des victimes françaises de l’attentat du 11 septembre auprès d’un cabinet américain, ce dernier est aussi un "honorable correspondant" de la DST, une "taupe" autrement dit.
Dasquié, qui travaille avec lui depuis de nombreuses années, ne lui a jamais caché son espoir d’obtenir des documents sensibles de la DGSE. Une fois ceux-ci récoltés, à l’automne 2006, il l’en a informé. Brisard l’a aussitôt fait savoir à son officier traitant de la DST. Branle-bas de combat chez les Grandes oreilles qui se fixent deux objectifs : récupérer les données de la DGSE et compromettre Dasquié.
Une curieuse garde à vue.
En février 2007, un rendez-vous est organisé, à Roissy, entre le journaliste et un représentant du cabinet américain où travaille Brisard. La rencontre tourne court. Mais les magistrats en sont convaincus : ce "stratagème" visait à "provoquer la commission d’une infraction pénale, à savoir la divulgation à un avocat américain des documents classifiés" et à compromettre ainsi, durablement, le journaliste. Deux mois plus tard paraît l’article du Monde.
Guillaume Dasquié, qui a tourné la page, est aujourd’hui devenu auteur de fictions. "L’objectif n’était pas de le mouiller mais de récupérer ses infos, se défend Lev Forster, l’avocat de Jean-Charles Brisard. Dasquié a voulu sortir un scoop à tout prix mais, dans ces affaires de terrorisme, la prudence est nécessaire". Ce que récuse l’avocat de Dasquié. Dans ce qu’il qualifie de "simple affaire de presse" la DST a déployé "des moyens démesurés" dénonce Me Nicolas Verly. "Pendant sa garde à vue, mon client a été traité comme un terroriste, rappelle l’avocat. Il a fallu que des juges soient saisis pour que sa qualité de journaliste soit enfin prise en compte".
Au final, le journaliste a bénéficié le 6 janvier d'un non-lieu dans cette enquête pour violation du secret de la défense. Le Monde, dans lequel était paru l'article en cause de Guillaume Dasquié en avril 2007, a également bénéficié d'un non-lieu, tout comme Jean-Charles Brisard.