[Cette enquête a été initialement publiée dans Libération datée du 18 mars 2009]
Elizabeth Borrel, ici en 2007, reçue par Nicolas Sarkozy.Elizabeth Borrel, ici en 2007, reçue par Nicolas Sarkozy. (REUTERS/Charles Platiau)
Après le meurtre du juge Borrel à Djibouti, le pouvoir chiraquien met tout en œuvre pour accréditer la thèse du suicide. «Libération» dévoile les cinq hommes clés de ce dossier.
Libération est en mesure de révéler les détails d’un transport judiciaire peu banal. Le 6 août, dans la plus grande discrétion, deux magistrates se présentent à l’Elysée dans le cadre d’une plainte pour des pressions sur la justice dans l’affaire Bernard Borrel - du nom de ce juge victime d’un meurtre non élucidé, en octobre 1995 à Djibouti.
Les juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia entendent déterminer la nature des initiatives de la cellule Afrique de la présidence de la République dans ce dossier. En particulier mettre en évidence d’éventuelles interventions politiques pour (dés)orienter les enquêtes sur les circonstances de la mort de Bernard Borrel. Car depuis au moins 2004, les enquêteurs soupçonnent des dignitaires de Djibouti, allié stratégique de la France dans l’océan Indien. De quoi affoler les diplomates et leurs réseaux.
Placards. Les 9 et 10 juillet précédents, Fabienne Pous et Michèle Ganascia ont déjà perquisitionné deux domiciles de Michel de Bonnecorse, le chef de cette cellule Afrique de 2002 à 2007, sans succès (voir ci-dessous). Perspicaces, elles ont contacté le 30 juillet son successeur à l’Elysée, Bruno Joubert, un ex du Quai d’Orsay passé par les services secrets de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure). Elles insistent pour obtenir l’intégralité des documents susceptibles de les intéresser et qui seraient classés dans les placards de l’Elysée.
Une semaine plus tard, le 6 août, elles obtiennent gain de cause. De 13 h 10 à 18 h 30, à la présidence de la République, elles saisissent près de 150 pages d’un «dossier Borrel» que la cellule Afrique détenait. Elisabeth Borrel, la veuve du magistrat, que nous avons interrogée, ne cache pas sa satisfaction.
Ce dossier, que nous avons pu consulter en totalité, montre que le pouvoir politique s’est compromis de manière systématique en tentant de privilégier les intérêts de Djibouti, au détriment des intérêts de la justice. Grâce à la complicité de hauts magistrats tels Laurent Le Mesle, devenu procureur général près de la cour d’appel de Paris (voir ci-contre), des diplomates ont pu violer le secret de l’instruction. Avec un objectif constant : tenter de promouvoir la thèse du suicide de Bernard Borrel pour innocenter les Djiboutiens. Un courrier du 17 janvier 2004 de Laurent Le Mesle pour Michel de Bonnecorse signale qu’à cette date leur connaissance du dossier ne laissait pas de doute sur l’origine criminelle de la mort de Bernard Borrel. Quinze jours plus tard, le 3 février 2004, Le Mesle ordonne à la hiérarchie judiciaire un «point complet sur le dossier», pour le compte de l’Elysée.
«Communication». Pourtant, un an plus tard, dans un télégramme diplomatique du 17 octobre 2005, on se félicite que les Djiboutiens «adoptent une nouvelle stratégie de communication» pour contrer «la thèse du crime politique». Contactés par Libération, les avocats d’Elisabeth Borrel, Mes Olivier Morice et Laurent de Caunes, se sont refusés à commenter ces révélations. La veuve du magistrat tiendra pour sa part une conférence de presse ce matin au cabinet de ses défenseurs.
Michel de Bonnecorse, diplomate de carrière de 69 ans, a coordonné les affaires de la Françafrique de 2002 à 2007. Lors du deuxième mandat de Jacques Chirac, il dirigeait la cellule Afrique de l’Elysée. Le 4 septembre, devant les juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia, l’ambassadeur a confié : «J’étais le chef de file sur le dossier Borrel puisqu’à 90 % ce dossier était diplomatique.»
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