[Cette enquête a été initialement publiée dans Libération datée du 26 avril 2010]
La campagne de Balladur a bénéficié d’importants dons suspects. Libération a pris connaissance de documents bancaires portant sur la campagne présidentielle d’Edouard Balladur, et émanant de l’agence du Crédit du Nord située au 6, boulevard Haussmann à Paris, qui a géré le compte par lequel passaient les recettes et les dépenses du candidat. Ce compte numéro 327548 avait été ouvert par l’Aficeb, l’Association pour le financement de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur, la structure fondée par ses amis politiques pour prendre en charge ses frais électoraux. Un aspect matériel crucial, puisque Jacques Chirac, leur ennemi du moment, conservait la haute main sur le RPR et sur ses capacités de financement.
Or, les relevés de ce compte montrent que le 26 avril 1995, l’Aficeb a encaissé une importante remise d’argent liquide : 10 millions de francs déposés en une seule fois et sans justificatif sérieux. Sur le bordereau bancaire, il a été mentionné que l’argent provenait de collectes effectuées lors des meetings électoraux. Un détail étonnant. Selon le décompte des billets effectué par les guichetiers du Crédit du Nord, la moitié de ces 10 millions a été apportée en coupures de 500 francs.
Au total, cette remise d’espèce représente près de 20% des recettes globales mentionnées dans le compte de campagne de Balladur, tel qu’il a été arrêté deux mois plus tard, pour être déposé au Conseil constitutionnel le 5 juillet 1995. Une opération essentielle, la loi interdisant au candidat de présenter un état comptable en déficit. Le 11 octobre suivant, l’institution, alors présidée par Roland Dumas, a définitivement validé les comptes du candidat Balladur, dans une délibération qui ne fait aucune référence au versement des 10 millions.
Il y a près d’un an, le 28 juin 2009, Edouard Balladur s’était indigné que des soupçons de financement illicite puissent lui être adressés pour sa campagne de 1995, qualifiant de «parfaitement infondé» le scénario selon lequel une partie de l’argent du contrat des sous-marins au Pakistan serait revenue dans les caisses de son mouvement politique. Sollicité par Libération, le comptable de la campagne balladurienne n’a pas souhaité répondre à nos questions.