Qu’est devenu l’argent de la corruption des réseaux pakistanais ?

[Cette enquête a été initialement publiée dans Libération du 27 avril 2010]

La société organisant les pots-de-vins du contrat pour la vente des sous-marins Agosta a continué à fonctionner jusqu’en 2007 alors que les commissions pakistanaises ont cessé à partir de 2001.

Au moment où le contrat pour la vente des trois sous-marins au Pakistan est conclu en 1994, les réseaux de corruption pakistanais sont organisés depuis près de deux ans. L’officine française chargée de régler ces détails, la Sofma (devenue la Sofema en 1998), a recruté à Islamabad et Karachi trois hommes d’affaires chargés de répartir 6,25% de ce marché de 5,41 milliards de francs. Soit 338 millions de francs. Ahmad Jamil Ansari, Zafar Iqbal et Aamir Lodhi doivent s’occuper de distribuer les enveloppes aux fonctionnaires, aux ministres, aux militaires et aux membres des services de sécurité pakistanais.

Selon des éléments du dossier que nous avons révélés hier, ces commissions se sont interrompues dans le courant de l’année 2001. Or nous disposons d’informations montrant que la société holding destinée à répartir ces flux a été opérationnelle jusqu’en 2007.

Offshore
Les trois hommes engagés dans ces aventures militaro-financières ont commencé à utiliser des sociétés offshore ouvertes à Gibraltar pour rapatrier les deniers envoyés par la Sofma dès 1994. En particulier Titan Europe Limited et Foraker Limited. Sur ce rocher du Commonwealth situé au sud de l’Espagne, nous avons retrouvé les documents relatifs à ces structures. Ils montrent qu’elles ont été administrées par une holding commune, la société North Bastion Limited, enregistrée le 6 mars 1995 et qui n’a pas été fermée avant le 28 novembre 2007 - correspondant à la durée réelle d’exécution du contrat des sous-marins, compte tenu des retards pris en cours de chantier.

Les intermédiaires pakistanais, eux, n’ont plus reçu de commissions à partir de 2001. Cependant, cette structure chargée de les répartir a fonctionné normalement jusqu’à la fin. Mais peut-être, après 2001, l’argent prenait-il d’autres directions…

À Paris, plusieurs opérateurs de l’armement que nous avons interrogés se défendent en affirmant qu’après l’entrée en vigueur de la convention OCDE (interdisant de rémunérer des intermédiaires étrangers), le 28 septembre 2000, ils ont cessé de rémunérer leurs agents pour des questions légales. Tout en précisant que peu avant, à l’été 2000 au plus tard, chaque géant de l’industrie de la défense a procédé à des paiements anticipés, pour solde de tout compte. Afin de se mettre en conformité avec le droit sans trahir leurs engagements avec leurs précieux interlocuteurs sur les marchés de l’armement.

Solde
Dramatique curiosité du contrat Agosta, les trois hommes clés naguère désignés pour distribuer les commissions n’ont jamais perçu leur solde. Nos contacts avec Ahmad Jamal Ansari et Zafar Iqbal nous ont permis d’apprendre que la Sofma aurait simplement cessé d’honorer ses engagements.

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