[Cette enquête a été initialement publiée dans Libération datée du 27 avril 2010]
Quand Edouard Balladur accède au poste de Premier ministre, le 29 mars 1993, l’Orient adresse des œillades aux industriels français de l’armement. Cette embellie pour les marchands de canons conduira deux intermédiaires libanais sous les lambris de la République, Ziad Takieddine et Abdulrahmane el-Assir.
Emissaire. Deux hommes apparaissant aujourd’hui comme les affairistes imposés par les balladuriens pour recevoir des flux financiers illicites, au regard des documents financiers et contractuels révélés hier par Libération. En 1993, l’Arabie Saoudite et le Pakistan expriment alors des besoins colossaux pour renouveler leur marine de guerre. A Paris, François Léotard, le nouveau ministre de la Défense du gouvernement Balladur, est approché par un conseiller du roi saoudien. Il s’appelle Ali bin Mussalam et se présente comme l’émissaire chargé de diriger les tractations pour l’acquisition de trois frégates de guerre de dernière génération.
L’homme est bien connu des services de renseignements français, pour son rôle de porteur de valise de haut vol dans l’affaire de l’Irangate ou dans le financement des moudjahidin afghans en guerre contre l’armée rouge. Ali bin Mussalam prend ses quartiers à l’hôtel Prince de Galles à Paris et reçoit en audience les pontes de l’armement français.
Mais l’homme ne parle que l’arabe et connaît mal la France. Pour ces négociations sensibles, il souhaite s’entourer de gens de confiance, sorte de trait d’union entre les mœurs parisiennes et saoudiennes. Ce seront Abdulrahmane el-Assir et Ziad Takieddine, deux hommes d’affaires installés à Londres, anciens copains d’université au Liban.
Takieddine affiche une réelle expérience des milieux politique et financier français, grâce notamment à sa participation aux affaires de la station de ski Isola 2000 (une société elle-même objet d’une longue instruction financière, lancée en 1995 par Eva Joly).
C’est d’ailleurs à proximité de ses télésièges que Takieddine rencontre pour la première fois François Léotard, comme l’intermédiaire libanais l’a raconté le 15 avril dernier, dans le bureau du juge Marc Trévidic. Takieddine et El-Assir se montrent efficaces. Le ministère de la Défense apprécie leur sens du commerce. En marge des demandes saoudiennes, le Pakistan souhaite alors acquérir des sous-marins français depuis près de deux ans, comme le montre un contrat du 21 septembre 1992 entre la Direction des constructions navales (DCN) et la Sofma, l’officine parisienne chargée de corrompre les décideurs pakistanais. A hauteur de 6,25% du marché.
Intérêts. Quelques mois avant la signature du contrat avec Islamabad, le 21 septembre 1994, le pouvoir politique français impose à la DCN de prévoir une rallonge de 4% au profit d’une petite société panaméenne, Mercor Finance, représentant les intérêts d’El-Assir et de Takieddine. Selon les versions concordantes des responsables de l’armement français ayant traité le dossier pakistanais, Emmanuel Aris, Gérard Menayas ou Henri Guittet, entendus au cours des derniers mois par le juge Marc Trévidic.
Ces cadres de l’industrie de défense laissent entendre que les intermédiaires "imposés" par les balladuriens agissaient pour des intérêts bien éloignés de la réalisation du contrat avec le Pakistan.
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